Une sociologue dans la ville

En m’interrogeant sur les activités et professions associant sociologie et urbanisme est née l’idée de cet article, lui-même plus qu’inspiré par la lecture d’un article de la revue Urbanisme. Il s’agit ici de s’interroger sur le rapport entre :

  • sociologie et ville : quand la sociologie a considéré la ville comme objet d’étude ? Comment a t-elle appréhendé l’objet ville ?
  • le sociologue et la fabrique de la ville : le sociologue a t-il sa place dans la fabrique urbaine ? Dans un projet urbain, quelle légitimité a un sociologue à intégrer une équipe de maîtrise d’œuvre urbaine ? L’approche sociologique trouve-t-elle une place dans les réflexions et projets d’une agence d’urbanisme ? …

Petite histoire de la sociologie urbaine

  • Entre 1952 et 1982 : essor de la sociologie urbaine marqué par deux ouvrages de Paul Henry Chombart de Lawe Paris et l’agglomération parisienne et La fin des villes
  • Milieu des années 1960 : essor de la recherche urbaine en lien à la construction des grands ensembles
  • Dans les années 1980 : essor de la recherche contractuelle concomitamment à la naissance de la politique de la ville. Les approches sont davantage territoriales, locales et anthropologiques : le questionnement passe de la production de la ville aux usages qu’en font les habitants et les travaux de terrain qui croisent le cadre bâti, le peuplement et les relations sociales sont privilégiés
  • Début des années 1990 : professionnalisation de la sociologie liée au problème des banlieues
  • Depuis : essor de la demande de prestations intellectuelles et d’ingénierie sur la question urbaine, en particulier des collectivités locales

Le sociologue et la fabrique urbaine

La fabrique urbaine doit aujourd’hui composer avec des approches et des compétences multiples et complexes qu’elles soient sociologiques, économiques, environnementales et paysagères. Ainsi, dans la conception d’un projet, une équipe opérationnelle pluridisciplinaire est désignée : un architecte urbaniste, un économiste de l’habitat, un paysagiste, voire un sociologue. Mais quel rôle joue précisément le sociologue dans la conception urbaine ?

La sociologie appliquée au projet urbain se distingue par son objectif qui est de favoriser au mieux les articulations entre projet spatial et projet social en analysant les usages, les pratiques, les représentations liées à l’espace, les enjeux sociaux des territoires observés, les attentes et les besoins des habitants. Comment s’appuyer sur les modes de vie pour organiser l’espace et inversement ? Quelle place pour les personnes âgées dans la ville ? Comment développer un urbanisme qui favorise la rencontre dans l’espace public ? Etc.

Le sociologue, en s’appuyant sur une méthodologie spécifique fondée sur un travail d’écoute de l’ensemble des acteurs impliqués, au recueil, à l’analyse et à l’interprétation des données :

fait le plus souvent un diagnostic sociologique du territoire ; il lie le quartier à son histoire et met en évidence son évolution ainsi que les principaux problèmes sociaux rencontrés par les habitants (formation et accès à l’emploi, insécurité dans les espaces publics, difficultés d’accès au logement pour les jeunes …) ;

garantit la prise en compte de ces problèmes dans la conception du projet (quel programme d’habitat définir pour demain (démolitions, reconstructions, réhabilitations …) ? Quelle reconfiguration des espaces publics (pour favoriser le lien social, intergénérationnel …) ?) ;

est le garant de l’attention portée au vécu du quartier et aux aspirations des habitants dans le projet urbain.

La posture critique du sociologue reste centrale dans la mesure où on attend de lui qu’il interroge des concepts définis a priori. Prenons l’exemple du concept d’enclavement. A l’occasion d’un projet urbain porté par l’ANRU, l’urbaniste mettait en avant le désenclavement du quartier situé en banlieue comme objectif prioritaire. Or, l’enquête menée auprès des habitants a conclu au sentiment d’intégration dans leur environnement. Si le quartier était physiquement enclavé, les habitants ne ressentaient pas cet isolement et développaient des pratiques de mobilité spécifiques permettant de parer à l’éloignement (utilisation des transports en commun, covoiturage, …). Ainsi, un quartier jugé enclavé sur le plan urbain peut être un quartier ouvert pour ses habitants qui y construisent leurs repères et leurs appartenances. Le rôle du sociologue est alors d’élargir le projet urbain à d’autres enjeux que celui du désenclavement ou de définir d’autres options de désenclavement que les seules liaisons physiques.

Le problème du positionnement du sociologue consultant tient à une contradiction qui est la nécessaire extériorité et de fait neutralité de tout scientifique et l’obligation à prendre position et à rendre des recommandations concrètes. Si les études sociologiques permettent d’apporter des éléments de compréhension d’un territoire, il est demandé au sociologue consultant de proposer des solutions, des orientations et de donner son avis sur les politiques à mener ; or, parfois les résultats sont en contradiction avec les idées des commanditaires.

La posture du sociologue dans la conception urbaine oscille entre expertise (produire de la connaissance), posture critique (interroger et le cas échéant déconstruire des concepts communément pensés), médiation (entre les différents acteurs dans des situations complexes) et engagement (distanciation versus prise de position).

Ma pratique de sociologue de la ville

Comme sociologue, spécialisée en sociologie urbaine, depuis plus de 10 ans je m’intéresse aux processus par lesquels les territoires urbains se fabriquent, se transforment, évoluent et se pratiquent. Comprendre les usages d’un territoire, et appréhender les attentes et les besoins sociaux sous-jacents, permettent d’envisager son avenir de manière efficiente.

Tant dans ma thèse (renouvellement de l’Île de Nantes) qu’au sein d’une coopérative d’études et de conseil nantaise (Araïs), j’ai conduit un ensemble d’études et d’AMO, sur diverses thématiques liées à l’urbain et à son évolution (aménagement urbain durable, transition énergétique, concertation, temps dans la ville). La recherche-action et ses principes méthodologiques ont ainsi guidé ma pratique professionnelle : produire de la connaissance, formuler des propositions d’action et conduire le changement des pratiques ; sa plus-value réside en ce qu’elle implique de travailler autrement, avec l’ensemble des parties prenantes d’un projet, en intelligence collective, pour une action efficiente (accompagner au changement).

Source : Revue URBANISME – Quelles formations pour quels métiers ? Automne 2015, n°398 
Dossier - Se former aux métiers de la ville (p. 24 – 55)
Article - Quelle place pour le sociologue ? (p. 32 – 34) 
Point de vue d'un collectif de l'Association des consultants 
en aménagement et développement des territoires (ACAD)