(V)ILLE DÉSERTE
17 mars 2020, début d’une longue et étrange période de confinement forcé ici, maintenant, ailleurs, longtemps. Que penser de cet enfermement imposé sanitairement et politiquement et accepté socialement ? Notre santé collective au détriment de notre liberté d’errer, de rencontrer, d’embrasser, de circuler… mais si, en étant attesté.e.
Ayant un besoin impérieux de passer chez moi – oh comble du bonheur je suis confinée « à la campagne » en ville – j’ai pris mon vélo pour traverser la ville du sud au nord. Ce fût une expérience sensorielle inédite de vide et de calme, d’air et de chaleur, de tension et de relâchement…
Un environnement urbain apaisé mais angoissant empli de rues désertées, des squares et autres espaces de verdure interdits à la fréquentation, des trams et des bus circulant à vide pour la plupart, des magasins quasiment tous fermés sauf exception d’où sortent des piétons chargés de vivres et masqués… Impression de traverser un no man’s land où l’activité sociale ne se passe plus à l’extérieur, dans la rue, mais exclusivement à l’intérieur, dans les immeubles, derrière les fenêtres, dans les salons, les arrière-cours…
Si tout semble s’être arrêté, la vie elle se réinvente chaque jour… Quelle joie d’aller promener Pupuce ! Tiens, depuis le temps que je me dis qu’il faut que j’aille courir ! Maman, maman, ouvre la fenêtre, c’est l’heure du morceau de violon joué par le voisin d’en face ! Et si j’appelais Mémé, ça fait longtemps ! Bonjour M. Février, bonne lecture au soleil sur le balcon ! Si on se faisait un apéro/vidéo avec les potes ! J’écouterais bien Jacques Higelin et son « Poil dans la main »… ! Les feuilles du frêne ont poussé cette nuit, dingue ! Allo Maman, désormais, c’est moi qui vais aller faire tes courses ! Je paye par carte, merci madame pour votre présence à cette caisse, bon courage ! 20h00 : clap, clap, clap, clap…! Je vais commencer le pull pour Jeanne ! J’ai 10 minutes, j’observe et note les oiseaux qui virevoltent devant ma fenêtre pour envoyer mon compte-rendu à la LPO ! Allo les collègues, comment allez-vous. À l’ordre du jour aujourd’hui … ! Un p’tit Truffaut ce soir ?…
Des haut, des bas, des frustrations, des plaisirs, du calme, de l’agitation, de la bienveillance, des déviances, de l’espoir, de l’inquiétude… En somme, des pratiques, des perceptions et des interactions générées par cet interstice temporel qui modifie plus largement nos modes de relations aux autres (virtuelles ou rapprochées, renforcement ou distanciation des liens sociaux…), nos modes d’habiter (réaménager, donner de nouvelles fonctions aux espaces intérieurs pour télétravailler, faire du sport, jouer…), nos manières de s’alimenter et de consommer (aller à l’épicerie du coin de la rue, se faire livrer à domicile, faire des « drive », …). Quels enseignements tirer de cette vie de confiné.e ? De quelle manière appréhender notre vie d’après ?… Des questions dont les réponses sont à trouver ici, maintenant, plus tard, ailleurs…